La filière énergétique dans l’escalade : premières pistes…

François Le Ray est guide de haute montagne, moniteur de ski et de parapente. Pratiquant le Tai chi chuan depuis 15 ans, il s’interroge depuis plusieurs années sur le lien entre cet art martial interne et l’escalade. La découverte d’XPEO lui a permis d’apporter de nouvelles réponses concrètes. Il nous livre ici ses premiers éléments et pistes de recherche. A suivre…

L’évolution de l’escalade

L’escalade a connu une évolution extraordinaire dans la deuxième moitié du 20° siècle. Autrefois simple préparation à l’alpinisme elle est devenue, dans les années 70, un sport à part entière. Cette modification a valu à ses adeptes de connaître une progression considérable en termes de performance, d’esthétique des gestes, d’agrément de la pratique. La technique et le matériel ont également participé à cette embellie.

François Le Ray enseignant l'escalade
François Le Ray enseignant l’escalade

Sans revisiter l’historique de cette transformation, je me contenterais de l’attribuer à trois grimpeurs français extraordinaires : Patrick Edlinger, Patrick Bérault et Eric Escoffier dont beaucoup se rappellent certainement. Disparus trop jeunes, ils ont néanmoins beaucoup œuvré pour affranchir l’escalade de son arrimage rigide à l’alpinisme. L’alpinisme a connu, en retour, un apport considérable en termes d’efficacité, de ce renouveau gestuel et physique né de sa discipline « fille ».

Une discipline exigeante

L’escalade est toutefois une activité exigeante. Le grimpeur doit être léger et souple, disposer de force et d’un rapport poids/puissance favorable. S’il pratique en montagne ou en grandes falaises, il doit aussi disposer d’une bonne endurance. De plus, l’environnement dans lequel il évolue, la verticalité, la pesanteur, l’impression de chute possible, induisent son aspect moral contraignant et obligent à une bonne maîtrise de soi. Tout ceci impose une pratique assidue et un entraînement conséquent.

Une autre caractéristique des grimpeurs est leur longévité. En effet, la compensation de la perte des qualités physiques par l’expérience, aide ceux qui restent passionnés. Elle s’accompagne dans le temps avec bonheur, de l’adaptation permanente des objectifs de chaque grimpeur à sa capacité.

L’art du geste juste

Il y a quelques années, alors que je vivais l’apogée de mon niveau en escalade, j’avais été impressionné par l’écoute d’un maître chinois qui parlait merveilleusement bien du Tai chi chuan.

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Séance de préparation avec des exercices XPEO

Sans savoir alors exactement ce qui m’attirait dans cette découverte, je m’étais promis de pratiquer un jour cette discipline.

L’occasion se présenta en 1999 et je m’initiai alors à ce que l’on me traduisit par l’« art de la boxe suprême ». Je ne compris que bien plus tard cette allégorie. Je l’intitulerais plutôt aujourd’hui « l’  art du geste juste ».

Quelques années plus tard, ayant progressé, je découvrais l’utilisation très particulière d’une de nos filières énergétiques les moins connues, à l’évidence transposable dans la plupart de nos gestes et activités. En particulier, toutes les composantes de base de la « forme Yang » pouvaient être mises en application en escalade comme je l’expliquerai plus loin.

Déconstruire l’escalade

J’expérimentai donc avec des « clients » cette quasi « déconstruction » de l’escalade et les résultats furent immédiats : aisance, sûreté de soi, sérénité étaient au rendez vous dans les falaises ; la rapidité d’apprentissage (sans stress) pour les débutants, était également là. Je vis même redémarrer des grimpeurs ayant plus ou moins baissé les bras à la suite de quelque grosse émotion ou d’une mauvaise expérience.

Après quelques années de recherche et d’expériences, je sentais malgré tout que je touchais la limite de ce que ma connaissance et ma pratique du Tai chi pouvaient apporter.

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Paul Woo Fon sur la paroi

La découverte d’XPEO

C’est alors que Paul Woo Fon me parla d’une approche beaucoup plus fonctionnelle de cette fonction de l’art Tai chi chuan qu’il expérimentait en particulier à travers sa pratique du ski de fond et avait baptisé « XPEO ».

J’eus l’occasion de constater l’extraordinaire efficacité de cette innovation lors de stages à Autans sur le domaine nordique. Je lui proposais donc de l’initier à l’escalade, afin qu’il puisse amener son expertise en renfort de nos expériences.

Avec l’aide de Gérard Manceau, moniteur et entraîneur de ski de fond (usant déjà de cette approche dans sa discipline), grimpeur et accompagnateur en montagne, de Jacques Carles, enseignant de Tai chi et de XPEO, breveté d’état en escalade et excellent grimpeur, cette rapide initiation fut une expérience passionnante et immédiatement probante.

Deux stades majeurs

Voici donc le point de l’avancée de nos recherches. On peut distinguer deux stades majeurs issus de la progression en Tai Chi et, par conséquent, de celle de l’escalade.

Stade 1

Il comprend quatre premiers points correspondant aux fondamentaux de l’équilibration et de la propulsion. Ce socle doit toujours être repris, y compris par les meilleurs grimpeurs.

1/ Le placement du centre (gravité et énergie) : ce principe consiste à systématiquement faire situer les appuis (pieds) à l’aplomb du centre (tantien) du corps. Soit on amène le centre au-dessus des appuis, soit on ramène les appuis sous le centre. La simple tonicité musculaire induit alors naturellement un mouvement vers le haut.

2/ L’anticipation (intention) : chaque pose d’un appui doit être la préparation du suivant (il est donc conditionné par lui). On peut traduire ainsi : je ne monte sur un pied que si je sais où va se poser l’autre. Si on peut anticiper sur une séquence plus longue, c’est encore mieux.

3/ La lecture (privilégier l’utilisation des yeux) :  je parcours et explore le rocher avec mes yeux, laissant ainsi mes mains se contenter d’assurer à deux mon équilibre.

4/ Le relâchement systématique des doigts dès que le choix de la prise est fait.

escalade4-Les trois points suivants sont un premier perfectionnement.

5/ Différencier les prises d’équilibration des prises de progression. On peut, comme dans la marche du Tai chi, identifier à cette occasion les mouvements yin et yang. Au besoin, replacer le pied yang pour en faire un yin, même sur la même prise, ce qui amène au point suivant.

6/ Affiner la préhension de chaque prise de pied et de main : il s’agit de trouver la meilleure réponse de l’appui du rocher vers le centre du corps. Cette action est plus naturelle pour les mains, mais doit être conscientisée (avant le relâchement).

7/ Évacuer les pensées parasites : toute pensée qui s’éloigne du geste nécessaire à la progression doit être identifiée comme parasite et si possible évacuée, à défaut atténuée.

Stade 2

C’est l’application XPEO que développe Paul Woo Fon, dès le moment où la progression ne peut plus se contenter de simples postures ou gestes d’équilibration et de propulsion.

Le grimpeur doit considérer que l’ensemble  des  actions  « mains » et « pieds » vise à créer simultanément l’adhérence avec le rocher et le déplacement (en montée, en traversée et/ou en descente). Cela s’appelle le « gainage ». Il faut donc imaginer ce lien énergétique entre les contacts du corps et le rocher et son utilisation en terme de progression. En corollaire, on doit aussi imaginer ce qui peut nuire à ce lien. Enfin, il faut « activer » cette filière énergétique dans un geste compatible avec la position et la posture du grimpeur.

Gérard Manceau
Gérard Manceau

Activer l’énergie dans le geste du grimpeur

La difficulté est que, contrairement à des gestes libres comme ceux des arts martiaux ou normés et répétés comme ceux du ski de fond, le geste de l’escalade est commandé par le rocher. Il faut donc trouver au sein du panel chorégraphique du grimpeur ce qui peut faire l’affaire (provoquer cette activation).

Nous en sommes là. Là encore, l’idée d’intention est majeure à travers la convergence de la pensée, du geste et du membre concerné. Il faudra certainement trouver un « geste dans le geste », soit dans la manière d’amener la main sur la prise, soit par exemple à travers la mise en tension de la main libre.

Paul m’a proposé de travailler ces gestes lors de mes venues à Grenoble pour les séances de Tai chi et nous allons certainement avancer au printemps prochain. Je proposerai ensuite probablement un essai à certains pratiquants voire enseignants de Tai chi ou d’XPEO.

François Le Ray,
Guide de Haute Montagne,
Moniteur de ski et de parapente.

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